67. SATYRES ET PAN
Ils sont tous à ricaner autour de nous. Ni menaçants ni amicaux, juste narquois. Et nombreux.
Ils n’ont pas l’air agressifs. Ils sont presque mignons avec leur petite fourrure qui recouvre la partie inférieure de leur corps.
Leurs têtes allongées à la manière des chèvres sont pourvues d’yeux un peu globuleux, avec de longs cils pour certains. Leurs cheveux sont bouclés et certains arborent en guise de collier une flûte de Pan.
— Je crois que nous avons un problème, dit Orphée.
Un premier satyre reprend la phrase, puis toute la foule des satyres répète en chœur :
— « Je crois que nous avons un problème ! »
— Utilisons le langage des signes, propose Edmond Wells.
Sa phrase est à nouveau reprise par les satyres qui semblent heureux de disposer enfin de sons à imiter :
— « Utilisons le langage des signes ! »
Puis l’un d’eux propose une variante :
— « Utilisons le langage des singes ! »
Aussitôt les autres reprennent d’un chœur joyeux.
Un satyre plus petit et plus bouclé que les autres s’approche et commence à palper et caresser Aphrodite, qui ne bouge pas.
— Ils n’ont pas l’air méchants mais très collants, signale-t-elle par gestes.
À ce que je comprends, Aphrodite nous suggère de continuer à marcher tout droit vers la Montagne sans nous préoccuper des satyres.
Nous avançons, entourés d’une foule qui nous arrive à la taille et qui n’attend que la prononciation d’une phrase pour la répéter en chœur.
— Surtout ne dites rien ! laisse échapper Orphée alors qu’un satyre femelle lui pelote les fesses.
— « Surtout ne dites rien ! » entonnent aussitôt les autres.
Je me demande quel intérêt peut avoir tout un peuple, toute une culture, à ne répéter que les phrases des autres.
— Chut ! murmure Œdipe.
Cette fois c’est un bruissement de « chut ! » qui lui répond.
Un satyre plus grand que ses compagnons s’avance vers nous et tout en répétant « chut ! », nous invite à le suivre.
La troupe nous encercle et nous guide vers un sentier qui gravit une petite colline. Au sommet une forêt plus dense encore et, la surplombant, un chêne immense qui donne l’impression que les autres arbres ne sont plus que des arbustes.
Le majestueux végétal compte plusieurs dizaines de mètres de hauteur et ressemble plus à un gratte-ciel qu’à un chêne.
Il semble très ancien et, à mesure que nous avançons vers lui, nous le constatons, plus haut encore. Peut-être 300 mètres, la hauteur de la tour Eiffel de Terre 1.
Un large escalier de bois est creusé dans le tronc et les satyres nous pressent de le gravir. Nous parvenons ainsi à un premier palier d’où partent, comme d’un carrefour, de larges branches sur lesquelles il est possible de marcher sans craindre de tomber.
Je distingue, suspendus un peu partout, de gros fruits ovoïdes. Une fenêtre s’ouvre sur un flanc et une femme satyre nous fait un signe de la main. D’autres fruits marron dévoilent des fenêtres ou des portes, où apparaissent des visages souriants. Combien sont-ils ? Un millier ? Davantage encore ?
Des satyres transportent des sacs de victuailles. Des enfants courent en se jetant des pommes de pin.
— On dirait des nids d’oiseaux, murmure Edmond Wells à mon oreille, en prenant garde que personne ne l’entende.
Ce monde arboricole est pour nous complètement nouveau. Nous découvrons des animaux qui grimpent sur les branches, une espèce de gros lézards que les satyres chassent à coups de sarbacane.
Par moments des nids de satyres fument, prouvant qu’à l’intérieur existent des cheminées.
Ce ne sont pas des nids, mais des maisons en suspension.
— Cela me rappelle l’Arbre de la Connaissance qui trônait au centre d’Olympie, chuchote Orphée.
— Moi, cela me fait penser à l’Arbre des Possibles, dis-je.
— C’est quoi ?
— Un arbre qui, à la place des feuilles, possède tous les futurs possibles de l’humanité.
— Jamais entendu parler. D’où tu tiens ça ? demande Orphée.
— Je ne sais plus, je crois que j’avais vu ça sur internet quand j’étais sur Terre 1.
— S’il vous plaît, décrivez-moi ce que vous voyez, demande Œdipe.
Orphée lui murmure à l’oreille une description du spectacle qui nous entoure.
Nous gravissons un nouvel escalier à peine plus étroit qui tourne autour du tronc, avec des branches larges comme des avenues qui partent du tronc central.
Plus nous grimpons, plus le nombre de maisons ovoïdes et fumantes augmente. Des vieux bouquetins ridés aux boucles grises ou blanches nous adressent des signes de bienvenue.
Enfin, au bout de plusieurs heures sur ce large escalier creusé dans l’écorce, nous parvenons aux deux tiers de l’arbre géant. Là se trouve un entrelacs de branches formant plateau au centre duquel repose un œuf marron, bien plus volumineux que les autres.
— Le palais du dieu Pan, murmure Aphrodite.
Elle n’a pas été assez discrète et déjà tous les autochtones psalmodient :
— « Le palais du dieu Pan ! »
Comme pour répondre à ce chœur, s’élève une mélodie à la flûte de Pan qui reprend le même air.
Les satyres nous guident.
Quelques marches encore. Une porte en bois s’ouvre. À l’intérieur, la salle d’un palais royal. Sur les murs, en guise de décoration, des photos issues de journaux érotiques de Terre 1, dans des cadres sophistiqués et sculptés. Au centre, un trône surmonté de sculptures de femmes nues enlacées.
Nous nous approchons du trône.
Un bouquetin malicieux, au visage allongé terminé par une barbe fine, aux cornes particulièrement longues, est assis en travers. Il joue de son instrument à plusieurs tubes avec un plaisir évident. Une tresse de fleurs et de feuilles de laurier le couronne.
Dans la vaste pièce, autour de nous, les satyres nous encerclent, attentifs à notre confrontation avec leur roi.
Celui-ci finit par arrêter de jouer, puis il descend de son trône et vient vers nous, en faisant claquer ses sabots sur le plancher, d’une démarche outrageusement cambrée rappelant celle du toréador dans l’arène avant l’arrivée du taureau.
Le roi nous examine. Il se baisse pour nous renifler sous les aisselles et dans le bas du dos, ce qui a l’air de beaucoup amuser son entourage.
Il s’attarde sur Aphrodite, la humant à petits coups comme s’il voulait s’imprégner de ses odeurs. Puis il pose doucement une main sur elle. Il caresse son menton, la main descend, passe sur son cou, sa poitrine qu’il frôle d’un doigt, son ventre, sans que la déesse frémisse.
— Laissez-la ! lancé-je.
Et je m’avance pour m’interposer. Mais les satyres me retiennent.
— « Laissez-la ! Laissez-la ! » reprennent en chœur tous les satyres présents.
D’un geste le roi intime le silence. Il se tourne vers moi, souriant, intéressé par ma réaction. Puis il reprend sa palpation. Sa main caresse les hanches puis les fesses de la déesse de l’Amour.
Celle-ci ne réagit toujours pas. Il descend lentement sur ses cuisses. C’est alors qu’Aphrodite lui décoche un coup de genou dans son entrejambe particulièrement velu.
Pan tombe à terre, écarlate, plié de douleur. Déjà les satyres ont dégainé leur sarbacane et mettent Aphrodite en joue, prêts à tirer. Mais le roi se relève en s’efforçant de transformer sa grimace en sourire. Il fait signe à ses troupes de rengainer les armes.
Il masse sa toison basse puis remonte sur son trône.
Il hésite, puis éclate de rire.
Après un temps tous les satyres s’esclaffent en écho. Pan fait un signe, et la foule comprend qu’il veut rester seul avec nous.
Tous déguerpissent. Nous nous sentons soulagés. Vivre dans la hantise d’une phrase répétée à l’infini, c’est fatigant à la longue.
— Des élèves dieux, des demi-dieux et la déesse de l’Amour en personne ? Quel honneur pour mon humble royaume si éloigné d’Olympie ! À quoi dois-je ce privilège ?
— Une « excursion touristique », réponds-je. On s’ennuie ferme à rester toujours dans la même cité.
— Changer d’herbage réjouit les veaux, reconnaît Pan. Et quelles sont les nouvelles de l’autre côté de la Montagne, dans la grande cité d’Olympie ?
— Ils sont tous en train de s’entretuer, annonce Œdipe.
Pan marque un temps d’étonnement.
— Vraiment ?
— Même les satyres combattent là-bas.
— Cela leur apprendra à quitter la mère patrie pour vivre parmi les étrangers, profère-t-il. Un satyre doit demeurer avec les siens.
L’homme aux pattes de bouc se dirige de sa démarche cambrée vers un placard. Il renifle plusieurs amphores et finit par verser un liquide blanc dans de grands gobelets du bois. Il nous les tend sur un plateau. Après un instant de méfiance, nous reniflons. Puis nous goûtons.
— On dirait du lait d’amandes.
— Ça vous plaît ?
— C’est délicieux, reconnaît Edmond Wells. On sent même un arrière-goût de réglisse.
— Parfait. Je suis content que cela ne vous dégoûte pas.
— C’est quoi ?
Il change de sujet.
— Alors dites-moi, que faites-vous vraiment ici, si loin d’Olympie ?
— Nous voulons gravir la deuxième Montagne.
Le roi des satyres nous fixe, surpris.
— Nous cherchons à rencontrer le Créateur, dit Œdipe.
Pan éclate de rire.
— Il n’y a rien de drôle, dit Orphée, vexé.
— Chercher à rencontrer le Créateur, vous ne trouvez pas ça drôle ? Moi je trouve ça hilarant !
— Pouvez-vous nous aider à gravir la Montagne ? demandé-je.
— Et pourquoi vous aiderais-je, s’il vous plaît ?
— Parce que nous vous le demandons, articule Œdipe.
— Alors dans ce cas je vous réponds : « Non. Rentrez chez vous. »
— Il n’existe plus de « chez-nous ». Nous vous l’avons dit : Olympie est en feu, rappelai-je.
Pan verse de nouveau sa boisson blanche à ceux dont le gobelet est vide.
— Ah, ça… ce n’est pas mon problème.
— Laisse, Michael, dit Aphrodite, nous allons continuer sans eux. Nous trouverons bien un passage pour gravir cette Montagne.
Pan esquisse un geste détaché.
— Un ravin nous sépare de la cime. Un seul endroit rend l’accès possible. C’est en pleine forêt, caché par les arbres. C’est introuvable sans notre aide. La forêt est vaste et je pense que dans un an vous serez encore en train de chercher.
— Parfait, alors guidez-nous, demande Edmond Wells.
— Eh bien vous savez qu’en Aeden existe une sorte de tradition qui est : « On avance, on arrive face à l’épreuve, on franchit l’épreuve, on continue. » Et chaque fois l’épreuve est plus difficile. Et chaque fois on se dit qu’on ne pourra plus avancer car c’est trop dur, et pourtant on essaye et parfois on réussit. C’est banal, mais c’est la loi de la vie : avancer, grandir, et pour cela se retrouver confronté à des obstacles qui nous forcent à nous surpasser. Mais aucun n’est insurmontable.
— Vous savez donc qui est le Grand Dieu qui vit au sommet de la deuxième Montagne ? demande Orphée.
— Chaque épreuve ne permet que d’éclairer ce qui suit, jusqu’à la prochaine. Elle n’envoie pas directement au point d’arrivée, ce serait trop rapide. Le plaisir est dans le cheminement, non dans l’aboutissement.
Il se caresse la barbichette, comme s’il était particulièrement satisfait de sa formule.
— Bon, dis-je, allez-y, envoyez le monstre et nous essaierons de le descendre. Nous avons déjà tué une méduse géante avant de venir, nous sommes échauffés.
— L’épreuve n’est pas d’affronter un monstre…
Le dieu se caresse encore le menton, en fixant Aphrodite.
— L’épreuve c’est… une partie de « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira perdra » !
— « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette » ? Mais c’est un jeu de cour de récréation pour école maternelle, s’étonne Orphée.
Cette fois l’homme au corps de bouc ne sourit plus du tout.
— Nous, les satyres, nous aimons le sexe et l’humour. Ce ne sont pas des jeux d’enfant mais les valeurs les plus sérieuses qui soient.
— Si nous gagnons ? demande Edmond Wells.
— Je vous guide vers l’unique passage qui permet de gravir la Montagne.
— Et si nous perdons ?
— Vous devenez des satyres et vous restez avec moi. Seule la déesse de l’Amour pourra garder son apparence parce qu’elle est sublime, mais elle deviendra mon esclave sexuelle.
Je m’imagine un instant avec des pattes de bouquetin attendant que passent des filles pour les tripoter ou que quelqu’un parle pour répéter. Un peu limité comme fin d’existence.
— Pourquoi cette épreuve ?
Edmond Wells répond à sa place :
— Ici comme partout sur Aeden, les êtres mythiques sont là depuis longtemps, donc ils s’ennuient. Pour eux les « visiteurs » sont des êtres neufs capables de les amuser.
— Monsieur est sur la bonne voie.
— Un peu comme dans les clubs de vacances, ajoute Edmond Wells, les organisateurs se connaissent tous et s’ennuient. Ce sont les touristes qui font varier la routine quotidienne. À fortiori quand elle dure depuis des millénaires.
— Exact, dit Pan. C’est le problème des dieux. L’immortalité c’est bien mais à la longue c’est ennuyeux. Heureusement des gens comme vous surgissent parfois pour nous surprendre. Surprenez-moi et vous pourrez poursuivre votre route, vous obtiendrez même mon aide. Alors qui veut jouer avec moi à « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette » ?
— Moi, dit Aphrodite, après tout c’est moi qui ai le plus à perdre, donc je suis motivée.
Je ne peux pas la laisser faire. Résigné, je prononce la phrase stupide :
— Non, moi.
Et pour démotiver ma compagne j’ajoute le mensonge que je ne devais jamais prononcer :
— J’ai en souvenir toutes les blagues du rabbin Freddy Meyer, ça devrait être facile.
Le dieu Pan me regarde, puis annonce :
— Nous jouterons demain. Pour l’instant, reposez-vous. Vous semblez… épuisés.
Il nous ressert avec gentillesse son lait d’amandes au goût de réglisse et nous nous en délectons, d’autant que nous avions très faim et que la boisson paraît nourrissante.
Je reste à fixer le roi des satyres, puis je questionne :
— Juste pour information. Pourquoi vos satyres répètent-ils tout le temps les phrases qu’ils entendent ?
— Ah ça ? Le coup de la répétition c’est un vieux gag que j’ai imaginé il y a 870 ans. Ils continuent sur leur lancée. Mais vous me faites penser qu’après tout cette blague est éculée. Je vais en changer. Demain je donnerai une directive en ce sens. Je vous promets qu’ils ne répéteront plus les phrases.
Le roi des satyres se caresse la barbiche.
— Par contre il faudra que je trouve autre chose, ils ne supporteraient pas une vie sans comique répétitif… Tiens, je vais leur proposer de compléter par « poil à…» plus une rime sur les fins de phrases. Comme par exemple : « Poil au nez ».
— Mais c’est encore un truc débile pour enfant ! s’insurge Orphée.
Pan se lève, les yeux brillants de colère.
— Bien sûr ! L’humour c’est un truc d’enfant mais je suis le roi et cela me plaît de faire des « trucs d’enfant » ! Poil aux dents !
Je fais signe à Orphée de ne plus provoquer le roi des satyres.
Edmond Wells lâche, curieux :
— Vous aimez à ce point l’humour ?
— Je vous l’ai dit : c’est notre religion : le sexe et l’humour. Vous voulez savoir jusqu’à quel point ? Eh bien la boisson que vous avez aimée, vous savez ce que c’est ?
— Non…
— Du sperme de bouquetin !
Alors que nous vomissons en chœur, il ajoute, malicieux :
— … Poil aux mains. Je vous le disais : « Sexe ET Humour. »
Pan frappe dans ses mains et un groupe de femmes apparaît pour nous guider vers des nids suspendus aux branches où nous attendent des chambres.
Je me retrouve avec Aphrodite dans un grand lit de bois au matelas très épais et très mou.
Quelques victuailles et boissons sont présentées sur une table, mais nous n’osons y toucher, suspectant quelque nouvelle blague de « mauvais goût ».
Je sors de mon sac le coffre de Terre 18, et l’inspecte pour vérifier que le transport n’a rien abîmé.
— Tu penses encore à elle ? demande sèchement Aphrodite.
— Elle se nomme « Delphine ».
— Elle est petite, toute petite. Quelques microns. Elle est plus petite qu’un acarien de tapis.
— Ce n’est pas la taille qui compte.
Au loin quelqu’un joue de la flûte de Pan. L’air est mélodieux, mélancolique.
Comme pour lui répondre Orphée caresse sa lyre et entame une douce mélopée. Les deux musiciens dialoguent à distance, exprimant par leur instrument leur culture, mieux que les mots ne le feront jamais.
Par moments une sorte de surenchère de beauté exalte la flûte de Pan. À laquelle répond la lyre d’Orphée.
Ce qui me rappelle une phrase d’Edmond Wells : « Le sens de la vie n’est peut-être que la recherche de la Beauté. »
Maintenant les deux instruments jouent à l’unisson. Je me dis que c’est ainsi qu’aurait dû commencer le dialogue entre toutes les civilisations, avant d’échanger des verroteries ou de l’or, avant de se prêter des otages en garantie, avant de se combattre pour voir qui est le plus fort : « Jouer de la musique ensemble. »
D’autres flûtes de Pan se joignent à la première, comme si Orphée par son talent avait donné envie à d’autres musiciens de venir dialoguer avec lui.
L’ensemble devient quasi symphonique.
Par la fenêtre, je contemple les deux lunes dans le ciel noir.
Aphrodite défait le haut de son bikini et dévoile sa superbe poitrine. Elle se serre contre moi et m’invite à une danse lascive alors qu’au loin on entend la musique sur fond de chœur de grillons. Il fait très chaud.
— Je te veux, dit-elle. Après tout c’est peut-être le dernier soir avant que j’appartienne à un bouquetin.
L’argument me semble recevable. Nous dansons longtemps, jusqu’à ce que nos corps luisent de sueur. Nos bouches, nos mains se cherchent, elle enfonce ma tête dans ses cheveux dorés. Ses yeux étincellent comme des étoiles.
Dans un réflexe, comme si je craignais que Delphine nous voie, je saisis une nappe et en recouvre Terre 18.
Aphrodite ajoute un coussin et je prononce cette phrase stupide :
— Cela ne risque pas de leur faire monter la température ?
Nous éclatons de rire, ce qui relâche nos dernières tensions.
Puis elle me renverse sur le lit, se juche à califourchon sur mon ventre et entreprend d’enlever mes derniers vêtements.
Nos souffles s’accélèrent tandis que nos bouches se trouvent, plongent l’une dans l’autre.
C’est quand même la déesse de l’Amour, me dis-je, comme si je voulais me trouver des excuses. En même temps la hantise de perdre demain et de me retrouver moi aussi bouquetin attise mes ardeurs.
Nous faisons l’amour de manière mécanique, puis fougueuse, puis passionnée, puis désespérée, comme si pour tous les deux ce devait être la dernière fois. Déchaînée, elle hurle plusieurs fois au moment où elle sent le plaisir monter en elle, comme si elle voulait prouver aux satyres qu’elle n’a aucun besoin d’eux pour connaître des orgasmes.
— Je crois que je t’aime vraiment, murmure-t-elle.
— Tu dis ça pour me préparer demain à plaisanter ?
— Non. Je n’ai jamais été aussi sérieuse.
— Alors, pour toi, demain j’essaierai d’être drôle.
— Je suis sûre que tu réussiras. De toute façon nous n’avons pas le choix, c’est faire rire ou rester coincés ici jusqu’à la fin des temps.
Je me dis qu’il n’y a rien de plus angoissant que la phrase : « Sois drôle ou meurs. » Tout à coup j’entre en empathie avec tous les comiques qui au cours des âges sont montés sur scène.
Aphrodite et moi nous endormons, blottis l’un contre l’autre, alors qu’au loin la lyre d’Orphée et les flûtes de Pan ne cessent d’emplir la nuit.
Sans que je m’en aperçoive, le coussin glisse de Terre 18, entraînant la nappe.